ouest france 30/09/06
Le géographe Armand Frémont préside un colloque à Cerisy-la-Salle sur l'aménagement du territoire. Il nous livre son regard normand.
Vous animez, jusqu'à lundi, le colloque de Cerisy sur l'aménagement du territoire. La Basse-Normandie est-elle un modèle ?
C'est une des grandes régions de la décentralisation industrielle de la France des années soixante, avec des réussites incontestables. Ensuite, ce fut la crise où elle est entrée plus tard que le reste de la France. Moulinex constitue tout un symbole à cet égard. Sur le plan universitaire et de la recherche, elle s'est imposée. Mais, cette région a le tort d'être un peu petite. À l'étranger, personne ne connaît la Basse-Normandie. L'image, c'est aussi un problème d'aménagement du territoire. À cet égard, la Normandie connaît une crise de l'image.
Comment expliquez-vous cette crise de l'image ?
Cela tient, en partie, du fait de la partition Basse et Haute-Normandie. Les politiques ont une part de responsabilité. Malgré quelques tentatives en matière de tourisme, ils n'arrivent pas à utiliser ce nom extraordinaire de Normandie. Prenez seulement le domaine des arts, du patrimoine. Que de richesses mal connues ! Il faut aller beaucoup plus loin. L'unification de la Normandie, grand projet, devrait permettre de rompre avec cet état d'esprit. Ce serait un accélérateur
.
Pourquoi, selon vous, cette réunification reste toujours un serpent de mer ?
Le sujet est compliqué politiquement, administrativement, avec des questions délicates. Caen et Rouen sont, chacune, capitales régionales. Laquelle demain en cas de réunification ? Les élus doivent se mobiliser, prendre ce problème à bras-le-corps pour essayer de le résoudre. Ce n'est pas un choix impossible.
Quel est votre regard de géographe humaniste sur la Normandie ?
La Normandie est une région à forte identité. Le sentiment d'appartenance y est plus fort que dans d'autres régions françaises. En Normandie, on aime bien être maître chez soi, roi sur sa terre. Dans le même temps, les Normands sont légitimistes, déférents à l'égard du pouvoir central. Cela donne ce mélange assez original de sentiment de liberté et de respect total vis-à-vis de l'État. Nous n'avons pas cela dans la Bretagne voisine, plus rebelle.
Comment imaginez-vous la Normandie dans les dix ans à venir ?
Son avenir peut s'articuler autour de trois axes. Un grand et beau projet d'une Normandie unifiée lui donnerait une force politique. Des choses sont déjà acquises : la vitalité des trois grandes villes Caen, Rouen et Le Havre. Cet ensemble métropolitain constitue une réalité incontournable qui ne peut que s'affirmer. Le second axe est économique et maritime. Port 2000 va s'imposer comme un des grands ports du nord de l'Europe. Au même titre qu'Anvers, Rotterdam, Hambourg.
Et le troisième axe ?
Je m'interroge sur le devenir de l'agriculture normande. Va-t-elle trouver ses marques dans le cadre de la nouvelle politique européenne ? Je sens comme un frémissement. Un nouveau style de l'agriculture normande se dessine, moins productiviste qu'il ne le fut en Bretagne, plus respectueux des pratiques environnementales, avec beaucoup de qualité dans les produits. Particulièrement dans la Manche.
Recueilli par
Jean-Jacques LEROSIER.
Pratique. Centre culturel international de Cerisy-la-Salle (Manche). Colloque « L'aménagement du territoire : changement de temps, changement d'espace » tél. 02 33 46 91 66. Le colloque s'achève lundi.
Armand Frémont fut vice-président de l'université de Caen avant d'être notamment recteur à Grenoble et Versailles.